Frankenstein ou Le Prométhée moderne, Mary Shelley, 1818 :
Victor Frankenstein est un médecin fasciné par la création de la vie. Il décide alors de créer une créature vivante. Lorsqu'elle prend vie il l'abandonne, horrifié par son apparence. En quête d'acceptation le monstre devient, peu à peu, animé par la vengeance envers son créateur. Le récit est raconté par l'explorateur Robert Walton dans des lettres destinées à sa soeur Margaret Saville, écrites suites à sa rencontre avec Victor dans l'Arctique.
"La civilisation ! Cela fait longtemps que je ne l'avais plus vue. Je ne connaissais plus que le manteau blanc de l'Arctique, et ses quelques animaux. La Suisse a bien changé depuis mon arrivée en ce monde et les vents mauvais qui ont suivi." Les courbes des montagnes se dessinent sous le ciel bleu. Le soleil éclaire la vallée. "Un village ! Descendons voir." Entre les sapins une grande ombre apparaît. Elle se déplace à grande vitesse. Sa silhouette ressemble à celle d'un homme, mais elle fait presque trois mètres de haut. Son regard scrutateur surplombe le village pour descendre progressivement vers lui. Son visage passe furtivement entre les rayons de lumière. Il a de longs cheveux noirs, la peau aussi jaune que ses yeux, et les lèvres presque noires. Il passe à côté d'une l'école, s'arrête. Ses yeux vitreux ne peuvent quitter ce qu'il vient de voir. Il se dissimule derrière un buisson, observe. Sur le livre c'est...son visage ! Et il est visible plusieurs fois ! Il plisse les yeux pour lire le titre, mais ne parvient pas à détacher les lettres : "Qu'est-il inscrit ?" Soudain, il entend une voix : c'est un élève qui lit. Cela lui rappelle des souvenirs. Il se revoit apprenant la lecture, caché dans la grange jouxtant le chalet des De Lacey. Il réentend les voix des enfants, Félix et Agathe, faire la lecture à Safie, une jeune turc, et à leur père, un vieillard aveugle et boitant. Ce dernier est le seul qui l'a accepté alors que ses enfants, à sa vue, l'ont mis dehors violemment en le traitant de monstre1. "Le seul..." se dit-il, se surprenant à parler à voix haute. La colère gronde, il manque de sortir de sa cachette mais fait un pas en arrière. Il écoute plus attentivement. Un autre étudiant récite un passage qui attire toute sa curiosité. Il commence ainsi : "Une sinistre nuit de novembre, je pus enfin contempler le résultat de mes longs travaux."2 La suite le décrivait lui. Tous les souvenirs revinrent clairement : sa naissance, son créateur qui n'avait rien trouvé de mieux que de l'abandonner à son triste sort. Il se met à grincer des dents, les plis déformés de son visage se contractent dans une expression horrible et féroce. "Je n'ai pas oublié les torts que tu m'as causé, père que tu n'as jamais été !" chuchota-t-il, réfrénant son envie de hurler.
La classe passe à l'extrait suivant : "Vous êtes mon créateur, soit, mais c'est moi qui suis le maître."3 Il sursaute. "Mais rappelez-vous bien ceci : je serai avec vous la nuit de vos noces !"4 Son corps se mit à frémir. Il s'entend, à nouveau, prononcer ces terribles sentences contre un homme qui a fait de lui une hideuse progéniture5, un paria. Le sang rougit son visage qui prend un air effrayant. "Tu n'aurais pas dû me créer, Frankenstein ! Ton désir t'a rendu imprudent !" maugréa le monstre d'un ton glaçant. Une dernière lecture : il s'agit de la fin du livre6. On ne sait pas ce que la créature devient après avoir disparue dans la forêt blanche de la froide Arctique. Le professeur explique qu'il est possible qu'elle soit encore parmi nous, signe que les enseignements de son histoire résonnent encore aujourd'hui. Le vent lui souffle alors cette réponse : "Plus que jamais !" suivi d'un rire démoniaque.
Lucie R.
1Au cours de son errance le monstre rencontre la famille De Lacey dans un chalet allemand. Caché, il les écoute et apprend le français, puis commence à lire. Il comprend l'histoire de cette famille dont le fils, Félix, lors de sa vie en France, a rencontré une jeune turc, Safie, dont il s'éprend. Après plusieurs péripéties (que je ne développerais pas ici) elle arrive au chalet où le jeune homme et sa soeur Agathe se sont donnés pour mission de lui apprendre leur langue (chapitre XIV).
2C'est le passage le plus célèbre du roman, celui où la créature prend vie sous les yeux horrifiés de son créateur Victor Frankenstein. La scène se passe à Ingolstadt, en Allemagne, dans le laboratoire de l'université au sein de laquelle Victor a fait ses études (chapitre V).
3Frankenstein et son monstre se retrouvent au coeur des montagnes et la créature lui raconte ce qu'elle a vécu depuis sa naissance. Il lui demande ensuite, pour rompre le rejet et la solitude, de lui créer une femme à son image, et s'il ne le fait pas il le menace, lui rappelant le pouvoir qu'il a sur lui en évoquant indirectement sa force surhumaine (chapitre XX).
4Frankenstein ne tient pas sa promesse et détruit la femme qu'il créait pour son monstre. Celui-ci menace de mettre à mal le futur mariage de Victor avec Elizabeth (chapitre XX).
5Mary Shelley qualifie son oeuvre ainsi, mettant en évidence un lien entre le roman et la créature qui amène une interprétation concernant la postérité du livre, à laquelle elle avait potentiellement déjà pensée.
6Dans le dernier chapitre Robert Walton rencontre le monstre qui songe, dans sa colère et sa tristesse, à se brûler sur un bucher. Celui-ci, sous les yeux de Walton, disparaît dans la forêt.